Extrait d’un « café philo » à Chevilly-Larue.
« Engagez-vous, rengagez-vous, vous verrez du pays ! », disaient les Romains dans Astérix et Obélix [reprise de slogans d’anciennes affiches de recrutement dans l’armée française, notamment dans les troupes coloniales]; et si cela servait déjà à voir du pays ?
Mais, il y a tellement de façons de s’engager ; on prend le chemin sans se retourner ; on le suit obstinément. On peut s’engager : dans l’armée, en politique, pour des vœux religieux, dans une société secrète, dans une relation – d’amitié ou d’amour, notamment-, dans une activité, pour servir une cause, un combat, un projet collectif qui nous tient à cœur, etc.
Je pense aussi aux situations où on peut se trouver contraints, ou presque, de s’engager, comme dans le cas d’une guerre. Je voudrais aussi évoquer l’œuvre [pièce de théâtre] de Jean-Paul Sartre Les mains sales, relatant ce moment où l’intellectuel ne peut plus se contenter de parler ou d’écrire, de donner des idées, mais où il doit se « salir les mains » par un acte.
L’engagement peut aussi répondre à une révolte ; on va vouloir se battre contre une situation que l’on n’admet pas, que l’on trouve injuste ou inacceptable, comme l’a fait l’avocat Peter Benenson ; selon sa notice su Wikipédia, celui-ci, « en 1960, est choqué par un article de journal qui relate l’arrestation de deux étudiants condamnés à sept ans de prison pour avoir porté un toast à la liberté pendant la dictature de Salazar. Révolté, il lance dans le journal l’observer[…] un appel en faveur « des prisonniers oubliés » […] ». A la suite de quoi, il va fonder, en 1961, Amnesty International !
Je voudrais en profiter aussi pour citer le livre Engagez-vous ! de Stéphan Hessel [recueil publié en 2011 d’entretiens réalisés en 2009 avec Gilles Vanderpooten], dans lequel, après des années de neutralité tiède et surtout pacifiste, il prend des positions engagées, à une période où l’on ne peut plus tergiverser avec la défense de ses opinions. S’engager inclut pour moi souvent la notion de « service ». On se met au service d’une cause, d’un pays, d’une personne… Cela ne signifie pas être servile, mais être au service comme dans la notion de « service public » (quand elle n’est pas galvaudée) ; c’est-à-dire, que l’on s’engage pour autre chose que de faire du profit ou servir des intérêts privés ou particuliers.
Bien sûr, si on ne maîtrise pas son engagement, s’il n’est pas choisi, si l’on ne travaille pas au projet, si l’on n’apprend rien de ce que l’on fait et si l’on n’élabore pas son engagement, s’engager, cela peut être aussi se mettre à l’abri dans une structure, physiquement, comme intellectuellement, et se mettre sous la coupe d’une institution (église, armée, parti, mariage…), notamment, par sécurité, par confort intellectuel ou pour ne plus souffrir d’une situation pire que l’engagement.
On peut s’engager au service d’une cause extérieure à soi-même (tiers-monde, prisonniers, malades, faim dans le monde, etc.), qui nous tient à cœur pour des raisons idéologiques ou passionnelles. Mais, on peut aussi s’engager dans une association de défense de ses membres (riverains, propriétaires, malades d’une même maladie,…). Pour moi, il y a une différence de portée morale et d’efficacité selon que l’on est directement concerné(e) ou pas. Toujours cette différence entre servir des intérêts collectifs ou particuliers.
Je me dis souvent que ce qui est bon pour moi doit être bon pour l’ensemble de l’humanité. Je pense également que s’engager, c’est engager sa parole et faire ce que l’on dit que l’on fera. Difficile d’être versatile pour celui qui s’engage vraiment. On donne sa parole pour une cause, un parti, etc., mais surtout par rapport à des personnes. On se situe ; on engage son point de vue. Il me semble qu’il faut que notre parole nous engage un tant soit peu, même quand on prend des risques. Celui qui est en face de nous doit pouvoir savoir où l’on en est quand on parle, tout en sachant que l’on n’a pas nécessairement des idées sur tout et que l’on peut tâtonner parfois.
Je dirai aussi qu’à partir du moment où l’on s’engage, notre vie va changer ; il faut alors être capable d’accueillir ce changement, accepter d’être bougé, même dans ses certitudes, et entamé par ce que l’on a à vivre.
On donne sa parole à l’institution, à une cause, à une personne, en général sur du long terme, même si cela ne dure pas toujours.
Personnellement, je crois en plus à une certaine gratuité de l’engagement, même s’il peut y avoir de la satisfaction à agir. On peut s’engager par conviction, sans chercher à en tirer profit, travailler seulement pour quelque chose que l’on croit juste, sans se soucier des questions de pouvoir et des problèmes de personnes.
Enfin, je dirai que l’engagement peut se terminer : par la fin du projet, par le changement dans la cause, par une trahison, par l’étiolement de la cause, par la fin du contrat moral pour lequel on s’était engagé(e), ou par la maladie, la lassitude, ou autre cas de force majeure, par peur de l’embrigadement quand la situation devient trop exigeante et risque d’aliéner l’acte libre que l’on a fait en s’engageant, ou encore, quand la cause finit par produire les nuisances qu’elle était censée combattre. Et là, la fin de l’engagement est toujours un deuil difficile à faire.