Par Nicole Leval
“C’est dans la pause que nous entendons l’appel de l’action” Emerson
Je me suis souvenue de ce curieux manifeste utopiste d’un auteur de bande dessinée, soixante-huitard, Gébé, qui avait imaginé l’An 01 où l’ensemble du pays arrêtait son activité économique dans un joyeux mouvement concerté et volontaire pour réfléchir et repartir d’un nouveau pied. « Une minute, on réfléchit et c’est pas triste » était le slogan contestataire des habitants. Tout s’était mis en pause comme aujourd’hui pour une partie de notre monde figé dans un silence inhabituel. Vision qui se réalise cinquante ans après dans des circonstances moins festives, durement vécues sous l’effroi d’une maladie qui frappe durement en nous rappelant notre finitude.
Mais la pause contraignante et privatrice de libertés habituelles se révèle pourtant porteuse de vertus utiles. Ne rien faire ou presque, ne plus fréquenter les autres apporte un répit bienfaisant qui freine l’impulsivité, l’agitation stérile de vies largement remplies. Le trop plein s’évacue peu à peu vers un changement de rythme, de priorités, de valeurs. Sans doute comme le dit Edgar Morin est-on en train de nous “détoxifier de notre ancien mode de vie”.
Le confinement agit comme une sorte de ralentisseur. Nécessaire pour les hôpitaux en premier lieu, il vient tout naturellement raboter nos comportement de consommateurs.
Bien obligés de nous occuper en milieu clos et de restreindre les sorties du domicile, les achats ralentissent, les fonds de tiroir de la cuisine retrouvent du charme et le pain perdu reprend du galon. Même les grands chefs cuisiniers chantent l’art de cuisiner les restes et vantent les petits plats économiques.
Les comptes de mars/avril ne sont pas dans le rouge. Pas de sorties, pas de magasins, pas d’invitations : pas de dépenses ! Il paraît que jamais on n’a autant épargné.
Nos tenues vestimentaires se font sages, plus personne à qui plaire, le paraître ne prend plus guère de temps, on traîne en savates, le survêtement règne, vive le confort !
En rangeant les placards on trie, on récupère, on répare, on a tant de choses inutiles que les déchetteries et les associations récupéreront beaucoup après nos nettoyages printaniers exemplaires.
Comment ne pas être frappés par notre relation aux objets ? Le besoin de “toujours plus” qui définit les êtres humains encombre les demeures. J’ai revu un vieux reportage consacré au moine bouddhiste Matthieu Ricard heureux possesseur de 3 paires de chaussettes, stupéfait face aux 4000 paires de chaussures d’une milliardaire.
On a cru à tort que la consommation croissante allait faire le bonheur de tous, sans voir que la surconsommation individuelle allait augmenter de manière démesurée la facture carbonée des pays les plus avancés et épuiser les ressources naturelles pour produire les biens dont nous jouissons.
Avant le 11 mai, date prévue pour repartir dans l’action, avant d’enclencher à nouveau la touche pause et de fermer cette parenthèse de vie pas si inutile, les esprits s’échauffent et débattent sur toutes les ondes.Le sujet de la reprise intéresse même les plus blasés. Pour une fois qu’on peut enfin sortir de l’impuissance en choisissant un autre système économique qui respecte mieux la nature, retrouve le bon sens de produire localement et remettre les solidarités de voisinage au cœur des préoccupations! Le consommateur s’est enfin calmé pour préférer le citoyen éclairé digne des enjeux actuels.
Une émission spéciale cette semaine sur la 2 inventorie des pistes dans les pays européens et les sondages d’opinion du public en direct me donnent de l’espoir. Une prix Nobel d’économie parle de la redistribution équitable des richesses, un grand patron rejette le PIB comme thermomètre unique de mesure du niveau de croissance. Je crois être dans un rêve. Le virus aurait-il touché tous les cerveaux ?
Le 11 mai, c’est vraiment l’An 01 qui va démarrer ?